

Lorsque Mt.Gox ferme ses portes en février 2014 en laissant sur le carreau des milliers de traders, son dirigeant, Mark Karpelès, devient l’un des personnages les plus détestés de la communauté crypto. Après moult rebondissements, la plateforme d’échange continue de faire parler d’elle en laissant planer de nombreux doutes sur son influence sur le cours du Bitcoin depuis le début de l’année 2018. Retour sur les différentes étapes d’un événement très douloureux pour de nombreux investisseurs.
Mark Karpèles, de Linux Cyberjoueur à Mt.Gox
L’affaire Mt.Gox est avant tout celle d’un personnage aussi brillant que sulfureux. Mark Karpelès, alias Magical Tux sur les réseaux sociaux, est un geek au QI de 190 qui a tout du cliché du « nerd » : le talent, le style vestimentaire, et de notables difficultés à communiquer avec les personnes du monde réel.
Il apprend à coder à trois ans et se passionne, année après année, pour les nouvelles technologies. Une fois embauché, celui-ci semble prendre sa revanche sur ses difficiles années de lycée en prenant de plus en plus d’initiatives au travail et en voyant ses compétences reconnues par ses supérieurs.
Seulement, en 2005, le jeune homme semble déjà flirter avec le côté obscur du net et est accusé par son patron, chez Linux Cyberjoueur, de transférer des données clients vers ses propres serveurs et de rediriger un nom de domaine de l’entreprise vers son propre site. Cinq ans plus tard, Mark Karpelès sera condamné à payer 45 000 euros de dommages et intérêts à son ancien employeur. Absent à sa propre audience, il a donc automatiquement déclaré coupable...
En 2010, lorsque se déroule ce procès, le jeune homme est en effet au Japon, et tente de repartir de zéro au pays des mangas pour réaliser un rêve d’enfance. Estimant qu’il n’a rien à se reprocher, il préfère se concentrer sur ses projets plutôt que d’aller au procès et s’évite ainsi un coûteux voyage en France.
Sa première société, Tibane, est un échec. Mais, en 2011, Mark Karpelès rachète, pour une bouchée de pain, la plateforme Mt.Gox, une plateforme d’échange initialement dédiée aux cartes du jeu « Magic The Gathering » qui vient alors de se mettre à échanger des Bitcoins. Sous le charme de la technologie sur laquelle repose le Bitcoin, Mark est très enthousiaste et se lance dans l’aventure avec passion. C’est alors le début d’une véritable success story qui, malheureusement, tournera bientôt au drame.
Mt.Gox : des trous dans la caisse dès 2011
Peu de temps après la passation de pouvoir, Mark Karpelès réalise que Mt.Gox a déjà été piratée au moins une fois par le passé et qu’il manque 80 000 bitcoins dans les caisses de la plateforme. Il partage alors son inquiétude à Jed McCaleb, créateur d’eDonkey à qui il a racheté l’entreprise qui, dans un mail le 28 avril 2011, lui conseille d’envisager différentes solutions :

A l’époque, Mark Karpelès signe alors un accord de non-divulgation lui interdisant de communiquer sur cette perte. En avril 2011, les 80 000 bitcoins ne valent que 62 400 dollars. Une faible somme, que Mark Karpelès pensait sûrement pouvoir rembourser en réinjectant petit à petit des capitaux dans l’entreprise. Malheureusement, la montée du cours changera rapidement la donne...
Les dessous du succès de la plateforme Mt.Gox
Malgré le succès grandissant de Mt.Gox, qui contrôle en 2013 plus de 80% des échanges mondiaux de bitcoins, les problèmes continuent de s’enchaîner pour Karpelès. En 2012, un ancien client de Tibane, sa première entreprise, lui réclame environ 20 000 dollars de remboursement pour un site payé mais jamais réalisé. Mark Karpelès n’y prête pas attention.
Mt.Gox continue à se développer et à brasser de phénoménales quantités de bitcoins. Son patron décide alors d’étendre son marché aux Etats-Unis et au Canada. Mal renseigné sur les règles juridiques en vigueur, il ne déclare pas Mt.Gox comme organisme de transfert de fonds, alors que la loi américaine l’exige. La punition est salée et, en juin 2018, Mt.Gox se fait saisir 5 millions de dollars. Un coup dur pour l’entreprise, qui est, d’autre part, de plus en plus la cible de tentatives de piratage. En février 2014, Mt.Gox stoppe net ses transactions, sans donner aucune explication.
Le silence de Mark Karpelès rend les internautes très inquiets, ces derniers craignant de ne jamais récupérer leurs bitcoins. 21 jours après la fermeture du site, Karpelès sort de son silence et s’exprime enfin sur la situation de Mt.Gox. Il fait des excuses publiques devant les médias du monde entier, expliquant calmement que 850 000 bitcoins se sont évaporés dans la nature. Les fichiers cryptés ont disparu des serveurs de la plateforme, et sont tout simplement introuvables. 200 000 bitcoins seront retrouvés par la suite, laissant un trou dans la caisse de 650 000 unités.
La société Mt.Gox est alors mise en faillite, et de longs mois d’enquête judiciaire s’entament pour tenter d’élucider le mystère. Certains spécialistes soupçonnent Mark Karpelès d’avoir détourné ces bitcoins, car celui-ci a manipulé les chiffres des échanges. D’autres pensent qu’il aurait menti sur les liquidités de Mt.Gox : les 850 000 bitcoins disparus n’auraient en réalité jamais existé, et Mt.Gox n’aurait été pendant tout ce temps qu’un vulgaire système de Ponzi.
2015 : Arrestation de Mark Karpelès
En 2015, Mark Karpelès est arrêté par la police japonaise. Il est accusé d'avoir falsifié des données dans le système informatique de la plateforme en 2013 pour créer artificiellement un million de dollars.
Le Willy Report et les travaux du spécialiste en sécurité WizSec mettent en lumière l’activité de deux traders très actifs sur Mt.Gox, Willy et Markus. Il s’agit en réalité de bots, qui ont acquis 600 000 bitcoins entre février et novembre 2013. Mark Karpelès a depuis reconnu que le bot Willy avait pour but d’acheter des bitcoins pour combler le trou de la somme manquante dérobée par les hackers.
Une question émerge alors : comment Mt.Gox a-t-il pu financer l’achat de ces centaines de milliers de bitcoins ?
La théorie du système de Ponzi est à ce stade intéressante, et la principale hypothèse ici est que l’achat de bitcoins ait été fait avec l’argent des clients. Le but de l’opération étant que, puisqu’ils réalisent d’importants bénéfices grâce à la montée du cours du Bitcoin, les clients continuent à accorder leur confiance à l’exchange Mt.Gox. En influant positivement sur le cours, les bots ont en effet permis aux internautes de réaliser d’importants bénéfices – tout du moins sur le papier, puisque ces fonds n’ont, à ce jour, toujours pas pu être récupérés…
Le retrait du bot Willy du marché et la chute du Bitcoin qui suivit fin 2013 - début 2014 ont poussé les investisseurs à vouloir retirer leurs bitcoins de la plateforme. Malheureusement, il était déjà trop tard…
2018 : Le liquidateur de Mt.Gox fait s’effondrer le cours du Bitcoin
L’histoire aurait pu s’arrêter là, et laisser les investisseurs en profond désarroi. Cela n’est pas le cas, les mandataires liquidateurs de Mt.Gox ayant pour mission de rembourser au mieux les bitcoins disparus.
Au mois de mars, les administrateurs révélaient avoir vendu pour 400 millions de dollars de bitcoins et bitcoins cash entre le 18 décembre 2017 et le 5 février 2018, et ce afin de rembourser les victimes en yens.
Cette grosse opération de vente est suspectée par certains analystes d’avoir contribué à l’effondrement du cours du BTC, faisant ainsi de nouvelles victimes collatérales parmi les détenteurs de bitcoins de par le monde, qui ont vu la valeur de leur crypto-actif chuter brusquement.
Les victimes de Mt.Gox, elles, sont face à un autre problème : une fois l’ensemble des créanciers remboursés, on estime qu’il restera 160 000 BTC à redistribuer aux actionnaires, autrement dit... à Mark Karpelès. Celui-ci s’est exprimé sur Reddit, affirmant ne pas vouloir de ce milliard de dollars. Une bonne nouvelle (ou est-ce juste une stratégie de communication ?), car les investisseurs lésés n’avaient aucunement l’intention de lui offrir une pareille récompense, alors même que celui-ci est toujours suspecté d’avoir joué un rôle dans la disparition des bitcoins…
Mt.Gox est donc passé d’une procédure de « faillite » à celle de « réhabilitation civile » afin de pouvoir modifier les modalités de recouvrement.
Et maintenant ?
Le nouveau document officiel de la liquidation de Mt.Gox, partagé en juin 2018 (et téléchargeable ici), prévoit le remboursement des victimes en Bitcoins et non en yens. Le nouveau plan a été révisé début août afin d’apporter quelques précisions :
- Aucun actif ne sera distribué aux actionnaires, tous seront redistribués aux créanciers
- Les créanciers en bitcoins seront remboursés en bitcoins (BTC) mais aussi en bitcoins cash (BCH), ce qui se justifient simplement parce qu’ils n’ont pas pu profiter du fork ayant eu lieu l’année dernière
- Les créanciers en monnaies Fiat recevront l’intégralité du montant approuvé lors du dépôt de bilan
- Tous les créanciers doivent pouvoir obtenir leurs registres de trading afin de pouvoir justifier leur intégration au plan réhabilitation civile
Pour ceux que cela concerne, voir également le planning relatif à la procédure de réhabilitation civile (téléchargeable ici). Il comprend les deadlines pour la soumission des demandes et la rentrée des documents nécessaires. Il est important de noter que les anciennes demandes ne sont pas prises en compte et que les procédures doivent être refaites intégralement.
Les premiers paiements auront normalement lieu en mai ou juin 2019, après l’adoption de ce nouveau plan de réhabilitation civile. Selon une déclaration des avocats faite début août, le premier versement devrait se composer de 160 000 BTC et de 168 000 BCH. D’ici là, plus aucune revente de bitcoins n’aura lieu sur les marchés.
Notons d’ores et déjà qu’il est probable que le cours du Bitcoin soit fortement impacté l’été prochain par l’arrivée massive de ces crypto-monnaies… On l’aura compris, la saga Mt.Gox est loin d’être finie...
Update 25/08 : Les créanciers de l'échange Mt. Gox, peuvent désormais commencer à soumettre (ici) les preuves relatives à leurs demandes de compensation, tel que prévu par le processus de réhabilitation. La deadline pour ce faire est fixée au 22 octobre.
Disclaimer : ce type d'investissements étant hautement spéculatifs, les divers contenus publiés ici ne constituent en rien une incitation à investir, ni une garantie de succès. Prudence donc. Et si vous décidez de vous lancer, ne le faites qu’avec des montants que vous pouvez vous permettre de perdre.